Suite à ma retraite de méditation de dix jours à Dharamsala, en Inde, un an plus tard, j’avais l’envie de renouveler l’expérience mais de chercher quelque chose de différent tout de même. Au lieu du Bouddhisme Tibétain, je désirais essayer la version zen, centré sur l’expérience de la pleine conscience. C’est comme cela que je suis arrivé en Dordogne, pour une retraite au Village des Pruniers du renommé Thich Nhat Hanh.
Et en effet, ici, l’expérience est différence, le silence n’est pas absolu, il y a des périodes silencieuses et d’autres où la parole est ouverte. C’est le « gong » qui fixe la période. Et tous les quarts d’heures, l’horloge de la salle à manger retentit, alors, on s’arrête de manger, de bouger, et on se recentre sur la pleine conscience de notre être, de notre respiration, pendant une minute. Une discipline de l’instant-présent.
Avant de commencer à manger, fidèle à la notion d’interdépendance, on remercie les intervenants nous permettant de nous nourrir aujourd’hui. Et il y en a beaucoup : le soleil et l’eau ont permis aux légumes de pousser, des personnes ont planté, récolté, transporté, et cuisiné ce repas, à la sueur de leurs fronts. Toute la nature et l’humanité ont conspiré pour que je puisse manger ce repas, alors la gratitude devient infinie, et le repas sacré.
La journée n’est pas la même lorsque dès le matin, je cultive la gratitude à chaque repas. Je ne vois plus la vie comme un problème mais comme une bénédiction. C’est grâce à la reconnaissance que notre vie s’embellit de joie et chasse l’insatisfaction.
Nuit orageuse
Pour ma première nuit, je dors en tente, mais la météo est capricieuse et j’entends l’orage gronder au loin. Je me couche, avec une sérénité plutôt anxieuse, j’ai un gros doute sur la capacité d’une tente à dix euros de tenir le choc face à un orage. Vers deux heures du matin, le tonnerre me réveille, je compte les secondes entre l’éclair et le tonnerre pour voir si je vais passer un sale moment ou pas. Le délai se raccourci et scelle mon sort.
La pluie commence à tomber de manière abondante, et peu de temps après, l’eau commence à s’infiltrer. Je me dis qu’avec un peu de chance, la pluie s’arrêtera avant que ma tente se transforme en baignoire. Mais mon optimisme ne fait pas long feu face à la rivière qui coule le long de la couture. C’est sûr, si Titanic s’était passé dans un camping, j’aurais le premier rôle.
Face à cette réalité, je décide de partir dormir dans la voiture, je sors en trombe sous une pluie diluvienne, et dans la nuit, file au parking. Trempé, je tente de rattraper un peu de sommeil sur la banquette arrière, avant la prochaine méditation à six heures du matin, oui, c’est monastique ici.
Déjà l’onde sonore du « gong » annonce l’heure de se lever. Alors je pars au temple, pour la méditation collective avec les moines et les « retraités » (*ceux qui effectue une retraite). On entend la pluie tapoter sur le toit du temple.
Une voix sort de l’ombre :
« J’inspire, je porte attention sur la pluie. »
« J’expire, je suis joyeux. »
« J’inspire, je me concentre sur l’élément eau de la pluie. »
« J’expire, je me concentre sur l’élément eau dans mon corps. Je ne vois que je ne fais qu’un. »
Je rigole intérieurement, c’est sûr, que j’ai ressenti de tout mon corps la fraîcheur de l’orage cette nuit.
Lâcher-prise, s’adapter, faire confiance
Pour la seconde nuit, je décide donc de dormir de nouveau dans la voiture, la tente n’ayant pas séchée… Mais, au moment de me coucher, et de tourner la clé dans la serrure, crack, la serrure casse, me laissant comme un con à l’extérieur. La loi de Murphy ne veut pas que je dorme… J’essaye plusieurs fois sans réussite, et l’ouverture à distance ne fonctionne plus depuis quelques semaines… J’hésite à casser la vitre pour rentrer dedans, mais je suis chez les bouddhistes, je vais faire confiance à la vie, et je vais voir ce qu’elle me propose.
Je n’ai plus qu’à demander de l’aide. J’explique mon affaire à des gens sous le préau, et je demande si quelqu’un sait crocheter une C3, mais pas de réponse positive. En revanche, on me donne l’adresse d’un garage pour le lendemain, et on m’informe que je peux dormir dans une yourte dans la forêt au bout du terrain. Par chance, j’avais laissé mon duvet dans la tente la veille, étant imperméable, il est encore sec. Mais la tente est toujours trempe, alors je pars dormir dans une yourte vide. Moi qui aie toujours voulu d’une yourte, me voilà comblé par le hasard des choses…
Le lendemain, pour résoudre l’ouverture de la voiture, je fais une chasse aux moines pour trouver celui qui s’occupe des véhicules. On me dit d’attendre après le repas. Bon. Soyons patient. Je parle enfin au moine, et en réfléchissant, je me dis qu’il faut peut-être juste que je change la pile de ma clé pour réactiver l’ouverture à distance, il n’en a pas, mais me propose d’en acheter une, vu qu’il va au garage.
Éteindre la radio mentale
Entre les épisodes pour résoudre mon affaire, je continue d’expérimenter la pleine conscience. En marchant, dans le silence, en faisant un avec la nature qui m’enlace. Avec le minimum de pensée, la radio mentale éteinte, l’expérience prime sur la pensée. La pleine conscience est plus facile avec des actions lentes. Je me concentre sur mes pas et ma respiration. J’inspire, j’avance mon pied droit, j’expire, j’avance mon pied gauche. Je traverse une clairière parsemée colorée tel un feu d’artifice floral approfondit mon demi-sourire, j’ai l’impression de retrouver l’émerveillement de l’enfant, comme si de nouveau, tout était neuf.
Le soir, le moine revient avec ma pile pour la clé de ma voiture. J’insère la pile neuve, appuie sur le bouton, et … ça ne marche pas. Pas de panique, je l’ai mise à l’envers, je la renverse et miracle, ça s’ouvre ! Je suis heureux, je vais retrouver mes affaires, et en même temps, j’étais très heureux pendant trois jours sans aucune de mes affaires, avec juste un duvet et ce qu’un compagnon de la retraite m’avait prêté pour me dépanner. Je remercie chaleureusement le moine à qui je propose un supplément pour le service mais il refuse.
Ce que je retiens de cet épisode, c’est qu’en gardant la confiance, la sérénité et la patience, lorsque tout tourne dans le mauvais sens, les solutions arrivent. La panique, la peur, ne fait que rajouter de l’huile sur le feu. Je n’ai pas eu à casser ma vitre et finalement la vie m’a proposé de dormir quelques jours dans une yourte, ce qui ne serait pas passé si je m’étais accroché à l’idée de dormir dans la voiture.
– Site du Village des pruniers
– Article « Sortir de l’impasse mentale »